Le blog de Petite Pépée

Le blog de Petite Pépée

Le tabac.

Ma première expérience du tabac fut aussi celle de l'exclusion. Mon grand- père, " Pépé ," à qui je dois mon pseudo était à mes yeux d'enfant plus victime de l'opprobe jetée sur lui que du tabac lui-même. Lorsqu'il venait à la maison, il fallait, été comme hiver, qu'il aille fumer sur le palier de l'immeuble pour ne pas nous déranger, ou sur  le balcon. On me disait que fumer était mauvais pour la santé et qu'il ne fallait jamais faire comme mon pépé. J'étais triste quant-à-moi qu'on le montre ainsi du doigt pour en dire des choses négatives, et c'est ainsi que j'ai appris à l'aimer. De belles volutes bleues s'échappaient magiquement de sa bouche entrouverte et mon grand-père était le seul à pouvoir faire ça. Pour ce qui me concernait moi et mon entourage aux poumons roses, il nous fallait attendre le froid de l'hiver. Alors, en tremblant, nous étions capables de souffler de la buée. 

 

A 68 ans, mon grand-père manqua de souffle, il cracha sa fumée pour la dernière fois et acheva une vie que tout  le monde autour de lui trouva trop courte. Moi, je me souviendrai toujours de la lumière qu'il y avait dans ses yeux lorsqu'il était à l'agonie. Je crois qu'il était en  paix et plein d'amour. Au moment de partir, mon grand père aimait assez la vie pour mourir en paix; il s'éteignit en disant " tu es belle" à ma grand-mère.

 

Le tabac, je ne peux m'empêcher de l'associer à la colère et à la déprime de mon grand-père. Aspirer ma première bouffée de fumée et la recracher c'était m'associer à sa révolte, c'était aussi choisir de m'exclure car je ne voulais exclure personne d'autre que moi. Fumer c'était me protéger de la bande exclusive,  du groupe mortifère. C'était exactement le contraire de ce qu'on disait à l'époque, je ne voulais pas fumer pour faire comme tout le monde. Fumer c'était rejoindre le rang des proscrits, le rang de ceux qu'on ne désire pas à côté de soi à table parce qu'ils empestent, le rang de ceux qui incommodent les femmes enceintes.

 

Lorsque mon grand- père tomba malade, je décidai de prendre la relève, et je fumai ma première cigarette dans un parking avec une amie de l'école. 

 

Le tabac est une drogue pernicieuse. Il ne ressemble pas au Mal mais il lui ressemble assez pour nous faire envie. C'est cet étouffement dans le coeur de mes poumons qui me revient en premier, le sentiment vraiment de faire quelque chose de " mauvais" pour la santé. Ensuite il était déjà trop tard, je voulais ré-essayer.  Je disais à mes parents que j'avais besoin de me promener un peu, que je reviendrais, et j'allais dans un petit parc près de chez moi. J'avais acheté mon premier paquet de Marlboro la honte chevillé au corps, dans une petite librairie. La vendeuse ne m'avait fait aucune misère. Je me souviens, après être sortie mon paquet et mon briquet à la main, m'être dit que parfois la vie était trop facile...

 

Les premières cigarettes étaient synonymes de paradis. J'étais seule dans le parc, la tête me tournait, j'étais un peu " stone". C'est pour retrouver cet étourdissement que je continuai à fumer, mais bientôt, les vertiges s'en allèrent, ils laissèrent place à l'habitude : j'étais devenue une fumeuse. J'étais comme les autres sans l'être vraiment. J'étais une adolescente, une vrai, mais je me cachais de l'être. Je gardais ma révolte à l'intérieur de moi, et je ne la recrachais à la face du monde que seule, dans mon petit parc. A l'école j'étais encore une petite fille trop sage au physique plutôt ingrat, à la maison cela faisait déjà plusieurs années qu'on ne me connaissaient plus vraiment tout-à-fait. Avec le recul, je trouve cela bien normal, moi non plus je ne me connaissais plus tout-à-fait.

Puis vient la trahison. Mon grand-père vit un paquet de cigarettes traîner dans ma chambre lors d'une visite à la maison. Dans un premier temps, cela le fit rire. Il n'était plus tout seul à être un maudit. Je croyais que de ce partage d'un péché commun allait naître entre nous une complicité, je croyais qu'il serait content que je l'ai rejoint là où il était mais il décida de vendre la mèche à ma mère. Peut-être que pour ne plus être seul, il avait besoin de me trahir. Heureusement, ma soeur cacha le paquet de cigarettes et ma mère n'eut de preuve de rien. Cela rendit fou mon grand-père, il était sûr d'avoir vu un paquet de " Chesterfield " traîner quelque part....

 

Alors la cigarette devint ma seule amie, et sa fumée dans mes poumons me consolait le coeur. Le soir, après avoir rempli mon journal intime, après avoir écrit des histoires d'amour et de mort pour moi seule, j'osais m'allumer une cigarette sur le balcon. Je l'achevais en vitesse, comme on disait je  " grillais" ma clope , et sa mort fulgurante nourrissait la mienne. Je rejoignait mon lit en titubant un peu.

 

La cigarette, je ne peux m'empêcher non plus de l'associer à mon premier amour. Parce que, comme dans tous les contes de fées urbains, mon premier amour fumait beaucoup. Bien-sûr, mon premier amour était con et macho et, comme dans tous les contes de fées urbains, il m'interdisait de fumer . Mais fumer une cigarette sur le balcon c'était le rejoindre quand il n'était pas là, c'était, puisque j'étais vierge, fusionner un peu avec lui et ressentir ce qu'il ressentait. Et puis c'était m'approprier ma liberté en me créant une dépendance bien à moi, contre laquelle ni mes parent  ni mon petit ami ne pourraient rien ; c'était entre moi et moi, entre moi et mon corps.

 

Et puis, le temps est passé, et la fumée est restée. La cigarette, pendant des années est resté le fil conducteur de ma vie dissolue. Lorsque j'arrêterai de nourrir mon corps avec de la fumée, je découvrirai une nouvelle amie, celle qui au fond est toujours restée près de moi, et qu'on nomme " boulimie ", la petite soeur invisible du tabac !

 

J'ai ainsi fumé ainsi jusqu'à mes 29 ans, et puis ai pris 10 kilos.

 



10/08/2013
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