" La clôture des merveilles : une vie d'Hildegarde de Bingen ", de Lorette Nobécourt.
Lorette Nobécourt est un écrivain qui a su me prendre là où j'étais, à l'âge que j'avais. A 20 je découvre, époustouflée, " la conversation " . La parole d'une femme condamnée à l'avance mais qui refuse de " témoigner " pour préférer " dire" , m'emmène à la découverte des boyaux de l'écriture qui se cherche en elle-même, afin d'accoucher d'une parole " vraie ". Lorette Nobécourt, c'est l'écriture qui se regarde dans le miroir, c'est une lampe torche braquée sur l'abîme pour nous faire entrevoir quelques ébauches de la naissance du Verbe. Mais c'est aussi un voyage au fil des pages qui, en nous faisant regarder vers l'intérieur, nous emmène et nous fait mieux comprendre l'extérieur.
Tel est justement le propos de " La clôture des merveille ". De la religieuse Hildegarde de Bingen, je ne savais rien, pas même l'existence. C'est Lorette Nobécourt qui me déroule pour la première fois, alors que j'ai 33 ans, un fil de sa vie terrestre : A l'âge de huit ans, en l'an 1106, une enfant est offerte au couvent. La séparation est banale pour l'époque, le déchirement n'en n'est pas moins cruel ... Mais l'enfant aux yeux trop bleus fait montre d'une foi hors du commun, une foi qui a pu parfois au fil de cette lecture me sembler sans objet mais qui se fonde tout- de même en elle-même. A 14 ans, " H. " choisit de prendre le voile, et de se cloîtrer. La " clôture des merveilles ", c'est alors s'enfoncer dans soi-même, car H " sait désormais que le cercle fermé ouvre à l'infini en son centre et que l'homme n'est rien d'autre que le monastère de Dieu " . C'est du centre de ce cercle que la moniale va fonder sa vie et sa liberté, c'est-à-dire se soumettre à ce qui en elle est plus grand qu'elle. La réputation de H. va dépasser les frontières de sa clôture et, des quatre horizons, les petits comme les grands du monde vont affluer pour lui demander conseil. Pour les petits comme pour les grands, la parole de H. sera toujours implacable, car implacable seront ses visions ...
A 43 ans, H. est contrainte d'écrire par une vision, implacable donc : " Et voici que dans la quarante - troisième année du cours de ma vie temporelle, alors que, dans une crainte et une tremblante attention, j'étais attachée à une céleste vision, j'ai vu une très grande clarté, dans laquelle se fit entendre une voix du ciel et disant: " Fragile être humain, cendre de cendre et pourriture de pourriture, dis et écris ce que tu vois et entends. Mais, parce que tu es peureuse pour parler, naïve pour exposer et ignorante pour écrire cela, dis-le et écris-le en te fondant non pas sur le langage de l'homme, non pas sur l'intelligence de l'invention humaine, non pas sur la volonté humaine d'organisation, mais en te fondant sur le fait que tu vois et entend cela d'en haut, dans le ciel, dans les merveilles de Dieu, en le rapportant dans un compte rendu semblable à celui de l'auditeur qui recevant les paroles de son maître, les publie en respectant la teneur de son expression avec l'accord, l'exemple et la volonté de ce dernier . De la même manière, toi aussi créature humaine, dis ce que tu vois et entends. " . De cette contrainte va naître par sa main la rédaction du Scivias, du Livre des mérites de vie, et du Livre des oeuvres divines.
C'est peut-être aussi, parce que la vérité est implacable et que sa soumission lui est totale que H. obéira toujours à ce qui la contraint en elle et désobéira aux ordres de ses supérieurs. Elle se battra pour fonder son propre couvent, voyagera de par le monde et, à la fin de sa vie, refusera d'exhumer la dépouille d'un jeune homme qu'elle avait enterré dans son couvent et qui, pour crime, avait été excommunié. Le pouvoir ecclésiastique d'alors sanctionnera son insolence: il lui sera interdit de célébrer les offices religieux et de chanter les offices au couvent, ce qui plongera H. dans le doute, dans la nuit de la foi. Mais, "si à l'échelle d'une vie humaine, l'injustice peut exister, à l'échelle de l'éternité, tout est rectifié" : six mois après sa mort, l'interdiction sera levée.
Est-ce Hilegarde de Bingen qui m'a émue ou bien est-ce l'écriture merveilleuse de Lorette Nobécourt qui a su me faire regarder autrement le mystère de la foi ? Peut-être, sans l'écrivain qu'est Nobécourt, aurais-je pu trouver " H. ", moniale du XII siècle, aussi Moyen-Ageuse qu'elle le fut, et pour tout dire par moment, peut-être parfaitement idiote. Mais aussi, peut-être aurais-je pu la trouver, au contraire, incroyablement moderne. Mais ce n'est pas tant ce qui m'importe que le regard de Nobécourt, qui a su me faire envisager autrement la question du dogme, puisque c'est au sein de la clôture du dogme catholique qu'une aventure comme celle d'Hildegarde de Bingen a pu avoir lieu. Lorette Nobécourt me parle à moi qui suis en chemin, et sait interroger autant que laisser une juste place à ce dogme, aussi fondé qu'il peut être absurde :
" Oui, n'en déplaise aux marchands, aux esthètes, aux cyniques, aux épargnants, aux religieux et aux athées, la vie se conjugue dans la dépense, le don, l'ouverture, l'acceptation, la perte.
Oui, la conscience est notre bien le plus précieux, et l'énergie notre source vitale.
Oui, l'ombre est toujours à l'oeuvre et la guerre qu'il nous faut lui mener aussi totale qu'elle l'était jadis. Elle a changé de visage. Mais comme Hildegarde, il nous faut livrer bataille et brandir l'épée pour défendre en riant notre désir d'être. Non pas seulement des hommes mais des forces vives jetées dans l'expérience de vivre pour en dévoiler la beauté. Ainsi, nous sommes pleinement humains.
Plus que la vie d' Hildegarde de Bingen, c'est bien le fil qu'a déroulé Lorette Nobécourt pour ses lecteurs, c'est bien elle qui m'a emporté au-délà de ma clotûre pour pouvoir mieux y pénétrer.
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