Le furoncle
La semaine avait bien commencé, à ceci près que Lise était depuis une semaine plongée dans une sorte de mélancolie. Elle ne se sentait pas à la hauteur d'une barre qu'elle avait sans doute placer trop haut pour elle qui peinait déjà à se lever chaque matin, pour elle qui avait du mal à ne pas se tromper sur les numéros d'inventaires au boulot. Ce jour-là elle parlait donc du sens de sa vie qui n'avait pas de sens avec un ami au téléphone, en se tripotant un peu la chatte pour se rassurer, sans chercher à se donner du plaisir. Lorsqu'elle ramena son doigt vers son visage, elle se rendit compte que celui-ci était couvert de sang.
- Je sais ce qu'il m'arrive, dit-elle à son ami au téléphone, je sais pourquoi je déprime: j'ai mes règles.
- Ha bon dit son ami, ça doit être ça.
- Attends, je vais vite mettre une serviette hygiénique, tu attends?
- Oui.
C'est à ce moment-là que le combat avait commencé. Depuis deux ans et quelques qu'elle avait arrêté de fumer, le corps déjà un peu gras de Lise s'était épaissi , lentement mais sûrement, presque patiemment, comme un allié qui se retourne contre son ami de toujours juste parce que la situation a changé. Pour compenser son besoin de poison, Lise avait mangé. Mangé au delà de sa faim, jusqu'à se terrasser l'estomac, jusqu'à violer et à humilier sa faim. Quelque fois elle avait mangé jusqu'à ce que la nourriture lui monte aux yeux. Se retrouvant alors dans un état de bien-être , proche de l'overdose, satisfaite comme un bébé repu, Lise s'était couché des tonnes de fois dans son fauteuil ou dans son lit. Elle s'était endormie en attendant d'être réveillée par une envie de se gaver d'un bol de Nesquik ou d'une tartine au Nutella trempé dans du lait froid.
Ainsi, contrairement à ses petites culotte, Lise s'était élargie. Les capitons de cellulite faisaient la fête de la graisse en dessous de son cul, s'épanouissaient sur ses cuisses dodues, lui évoquant plus le jambonneau que le bas-résille. Refusant de voir la réalité en face, Lise n'avait pas pensé à s'acheter des petites culottes nouvelles une taille au dessus; elle se disait qu'elle finirait par maigrir et que son corps aminci retrouvait un jour ou l'autre la forme qui épouserait le carcan étroit de ces culottes.
Ce jour-là, Lise était restée en robe de chambre, sans sous-vêtement. Les culottes les plus larges étaient mises au sale linge. Il fallait donc fouiller dans le tiroir voir s'il n'y avait pas une culotte adaptée à une petite femme ronde et au ventre bombé particulier du premier jour des règles. Lise trouva une vieille culotte noire en satin déjà un peu déchirée par endroits,( ce qui lui donnait d'ailleurs un côté sexy), et décida qu'elle ferait l'affaire. Elle colla une serviette hygiénique à l'intérieur de celle-ci, l'enfila et retourna prendre le téléphone. En se dirigeant vers le combiné, elle s'aperçut que la culotte frottait un peu à l'intérieur de l'aine et de la cuisse, du côté gauche. Ca faisait un peu mal mais Lise décida que comme à beaucoup d'autres choses, elle s'y ferait.
Règles obligeantes, Lise se coucha avec sa petite culotte frottante. La petite culotte avait handicapé la marche de Lise pendant l'après -midi, mais peu importe puisque Lise était fainéante et qu'elle ne marchait pas beaucoup lorsqu'elle était dans l'appartement et qu'elle n'avait pas à en sortir. Même dans le lit, la culotte était gênante et pour tout dire, cela commençait à ressembler à de la torture. Mais Lise avait de toutes façons une âme torturée et elle décida que le sommeil lui ferait tout oublier: le sang qui coule et la douleur.
***
Pendant la nuit, au fil des retournements intempestifs de Lise sur les côtés, la culotte frotta et frotta sa peau douce. Au cours de cette agitation, un petit poil rebelle se retourna contre sa nature de poil et au lieu que de s’épanouir en dehors de l'épiderme, il fit en sorte que se propage autour de lui une tuméfaction qui allait prendre de l'ampleur au fur et à mesure que le temps avancerait. Ce poil avait décidé de se révolter contre Lise, contre sa fainéantise et sa propension à se laisser aller. Ce poil avait décidé de punir Lise de se goinfrer, il avait de la forcer à se regarder dans la glace, de la faire se cogner contre la réalité de son reflet. Ce poil commença sournoisement à se transformer en une plaie pochée sur elle-même, en une petite autoroute de pus que les spécialistes appellent le bourbillon. Au début il ne s'agissait de presque rien. Tout au plus d'une petite gêne, d'un petit bouton purulent qui n'effraya même pas Lise. Mais le jour du réveillon de nouvel an, Lise commença à comprendre sa douleur. Le frottement du pus contre l'élastique de la culotte de Lise commença à susciter non plus de la gêne, mais un lancement de douleur insupportable. Au cours de la soirée qui passa de 2011 à 2012, Lise se mit à boiter. Mais comme ça ne se voyait pas trop, Lise ne voulu toujours pas prêter attention à son problème qui pourtant prenait une grotesque ampleur. Le réveillon se passa sans heurts bien que dès minuit passé de 15 minutes, Lise se mit en chemise de nuit et décida devant tous ses invités de s'engoncer dans son divan pour ne plus en sortir. 19 minutes après 2012, Lise se dit qu'elle n'aurait jamais cru qu'une petite culotte lui poserait autant de problème, ni qu'elle avant tant grossi. Elle se versa encore un peu de champagne dans son verre et sombra dans la nouvelle année.
Le premier janvier fut une journée curieuse. Tout semblait être ouaté, Lise avait le vertige. La douleur entre ses jambes était devenue lancinante, comme un rappel à l'ordre permanent. Comme si ,venant des tréfonds de son ventre, un petit monstre encombrant était né, et avait eu pour mission de lui crier à chaque pas: " tu es grosse, tu es grosse, tu es tellement grosse que tu ne peux plus marcher". Le boitement au début discret de Lise, s'était transformé en une démarche bizarre de personne qui n'aurait plus tout-à-fait le contrôle de son corps. En marchant, ou plutôt en essayant de marcher, Lise s'était mis à ressembler à une petite vieille qui luttait pour ses derniers mouvements d'autonomie. On aurait juré un homard qui essayait de cesser de marcher de biais. Aussi, Lise, puisqu'on était le premier janvier et que toutes les pharmacies étaient fermées, décida de continuer à s'en foutre au moins jusqu'au lendemain, il n'y avait de toute façon rien à faire. La veille, elle avait mélangé deux Daphalgan Codéïne avec son champagne, et la stonerie l'aidait à ne ressentir qu'une envie de dormir contre laquelle aucune douleur ne pouvait rien. Il suffisait d'en faire le moins possible, il suffisait de se laisser zoner dans sa tête, et d'attendre le lendemain pour s'inquiéter vraiment. Certaines positions dans le canapé étaient devenues douloureuses mais il suffisait juste de les éviter. Ce soir -là, regarda sans trop se poser de questions, La grande vadrouille sur TF1
Le lendemain, le petit monstre plein de pus avait encore grandi. Le poil rebelle avait disparu quelque part, il était partit en kamikaze. Ou alors il avait muté comme la chenille devient papillon. Le cocon de pus était tellement énorme qu'il dessinait une troisième lèvre parallèle à la grosse lèvre gauche de Lise. C'était laid et fascinant à voir, mais Lise ,d'où elle était, n'avait pas accès à cette partie de son anatomie: il était impossible de voir le monstre sans un petit miroir. La réalité lui éclatait entre les jambes, elle gisait sur l'élastique gauche de sa culotte. La vacuité de sa vie lui purulait entre les jambes mais Lise ,par l'ironie du sort qui est celui de toutes les femmes, ne pouvait voir le spectacle en face. Lise commença à ressentir la chose pour ce qu'elle était: une humiliation. Une humiliation lui jouxtant le sexe. Une humiliation tutoyant la grosse lèvre, un accouchement de l'irritation d'être sois-même et rien d'autre, une vérité voisinant sa chatte de tellement près que tout semblait venir d'elle: sa chatte. La honte et la paranoïa qui en découle s'empara de Lise, à la manière de la torture de la goutte d'eau: au début ce n'est qu'une petite gêne, ensuite la goutte pleut tellement au même endroit qu'on préférerait être noyé.
- J'espère que je ne marcherai pas comme ça le 3 janvier, devant mes collègues. S'enquit Lise nerveusement à Jules, son compagnon.
Le 2 janvier fut le jour du répit. La douleur n'avait pas diminué mais enfin elle n'avait pas empiré. Pourtant, Lise savait qu'elle boiterait le 3 janvier devant tout le monde, parce qu'elle était fainéante et grosse, elle savait désormais qu'elle boiterait et qu'il faudrait expliquer d'où vient la douleur, en faisant tout pour qu'on ne croit pas que ça venait du sexe et qu'elle manquait d'hygiène, et en faisant tout également pour ne pas avoir l'air de tout faire pour qu'on ne sache pas que ça venait de son sexe. Lise essayait de trouver une explication à sa grotesque façon de marcher, mais elle ne trouva rien. Alors, le trois janvier 2012, Lise décida de ne pas aller travailler et de se rendre chez le médecin. Le médecin regarda entre les jambes de Lise qui avait rendez-vous avec sa honte. - C'est un furoncle, dit-il, un furoncle. -Que faut-il faire? dit Lise? - Il n'y a rien à faire, dit le médecin. Le furoncle va grossir, grossir, grossir, jusqu'à éclater. Le pus s'écoulera, et ce sera fini. Rentrez chez vous et prenez ces quelques antibiotiques. Lise rentra chez elle avec son certificat médical et sa prescription. Elle vit très bien et très vite que le regard des gens avaient déjà changé. La façon qu'avaient les gens d'éviter de la regarder éveillait ses soupçons; il était clair qu'on la prenait pour une handicapée.
XXX
Arrivée chez elle, Lise décida de regarder le monstre en face. Elle prit un petit miroir qui lui servait d'ordinaire à se poudrer le nez, s'installa dans son grand canapé bleu, écarta les jambes, baissa sa culottes et mis le miroir en face de son sexe de façon à pouvoir le regarder en face. Au début, Lise ne vit rien du tout, sinon une sorte de buée, comme si son sexe, dans un râle de frayeur, avait balancé du brouillard en face de lui pour ne pas être violé. Puis, Lise vit une drôle de tâche violette encombré de poils noirs, comme une espèce de grosse bouche infâme baveuse et trop maquillée, entourée de poils crépus et noirs. La chatte de Lise lui évoquait les grosses femmes qui ne savaient pas se prendre en main. Ce sexe infâme, n'était qu'une coupure, une entaille à même la chair, comme si on l'avait sectionnée à l'entrée pour aller y chercher les tripes, pour enfoncer ses mains et aller chercher les enfants. Tout en haut, gonflé comme un roi à la con, trônait le bouton de son clitoris. Et à côté, à côté de sa grande lèvre de gauche, Le furoncle. Le furoncle avait tellement fait souffrir Lise, il avait tellement mis de temps à grandir, que Lise le trouva beau. Il était Magnifique. Il décrivait dans sa forme, un espèce de mini phallus fait de pus et de pourriture. Les couleurs étaient plutôt chatoyantes, puisqu'elles se nuançaient dans le jaune, l'ocre, le rouge et le pourpre. Il suintait un peu. Lise pris sa crème antibiotique et enduit son précieux furoncle. " Tu enfanteras dans la douleur", songea-elle.
XXX
Le 4 janvier, Lise ne pouvait plus se déplacer. Elle était comme une personne en fin de vie, à qui il aurait fallu un déambulateur. Le pus ne s'était toujours pas écoulé, Le furoncle avait encore grossi mais c'était comme s'il refusait d'éclater, comme si quelque chose se préparait. Lise commença à se demander si ce furoncle-là était bien normal, si ce furoncle-là n'avait pas une essence qui lui était propre, si ce furoncle, dont l'emplacement stratégique avait été choisi près de la partie la plus honteuse de son corps, et ce suite à une gourmandise et à un laisser aller tout aussi honteux, n'était pas le projet de quelqu'un de très haut placé, de quelqu'un qui voulait faire comprendre à Lise et peut-être aux monde entier quelque chose de très important, quelque chose de très important sur elle-même ou peut-être même sur l'essence féminine. A bien y réfléchir, Lise en était sûre: un furoncle aussi gros, imposant, aussi phallique, un furoncle aussi magique ne pouvait pas être un simple furoncle, ça ne pouvait pas être une simple histoire d'antibiotique et de crème à appliquer, il ne pouvait s'agir là que de quelque chose d'immonde et de spirituel. Lise prit son petit miroir, et lorsqu'elle essaya de regarder, elle fut prise de malaise. Le furoncle avait doublé de volume. Alors elle cessa de le trouver beau et se mit à en avoir peur. Au téléphone, le médecin riait presque. Mais non mademoiselle, ce n'est pas un esprit. Ce n'est pas une punition pour vous dire d'arrêter de manger. Ce n'est pas l'oeuvre de Dieu ou du Diable, ou des extras-terrestres. C'est juste un furoncle très handicapant. Lise aurait bien aimer l'y voir, son médecin. Lorsqu'il découvrirait lui aussi, l'oeuvre de la bête noire juste à côté de son pénis, il y irait lui expliquer que ce n'est rien de grave.
XXX
Vint le 5 janvier. Lise ne pouvait plus du tout se déplacer. Jules lui disait que si, il suffisait de se lever. D'après lui, le furoncle s'était résorbé dans la nuit du 4 au 5. La poche avait explosé et le pus avait coulé le long de sa cuisse, il n'y avait plus à s'en faire. Mais Lise était percluse de douleur, une douleur qui lui prenait du furoncle pour s'étendre jusqu'en bas de la jambe gauche. - Quelque chose va sortir, disait-elle. Jules lui disait qu'il commençait à s'inquiéter pour elle, il lui caressait la joue en la regardant droit dans les yeux, il essayait de la convaincre qu'il n'y avait plus rien. - Il ne peut pas comprendre, se disait Lise, il n'a pas été mis au courant, c'est un bienheureux. Lise se sentait seule au monde. Elle savait que personne ne la croirait, elle était seule avec sa solitude, et avec sa peur. Elle était seule comme quand elle était petite, comme une enfant dans le noir. La chose sortirait d'elle et peut-être la tuerait, mais Lise n'avait plus le choix. Il fallait attendre, puis mourir.
La bête naquit le 6 janvier. Elle brisa lentement le furoncle, et hésita si longtemps à sortir de son oeuf, que Lise ne cessa d'hurler. La bête noire sortit, il ne s'agissait rien de bien dérangeant à voir; elle était comme une grosse, une immense araignée velue, avec cependant un peu trop de pattes, un peu trop de poils, et, au milieux, une tête de femme, une tête de femme un peu trop maquillée, se regardant dans le miroir. -Mais c'est moi, ce visage, reconnut Lise. Le reflet tourna la tête vers Lise et sembla sortir du dos de la grosse araignée. Il se mit à parler à Lise.
- Oui, je suis toi, dit-il. Je suis ta honte. Je suis la honte de toutes les femmes. Je suis l'Essence. Je m'en vais me répandre sur la terre, laisse-moi partir, tu as fait à présent ton devoir, dit la tête de femme, avec la voix de Lise.
- Il n'en est pas question, dit Lise. Tu ne sortiras pas d'ici. Après tout, tu n'es qu'une grosse araignée, tu n'es qu'un furoncle ridicule qui a éclaté dans la nuit du 4 au 5 janvier 2012, tu n'es rien de plus et tu n'as aucun pouvoir, ni sur moi sur les autres. Et Lise écrasa de son pied nu, sa honte qui se mit à gésir sur le sol.
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