Le blog de Petite Pépée

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Miss Personne

Depuis mes douze ans, un nombre incalculable de fois j'ai pensé à me suicider. J'ai envisagé tous les modes, toutes les tentatives, en trouvant du charme à chacune. Partir les bras et les yeux ouverts dans mon bain, m'étrangler au bout d'une corde ou tout simplement m'endormir dans une overdose de médicaments... Mais pour me suicider il aurait d'abord fallu que j'existe et ce n'était pas mon cas.
 
Je me suis promenée des nuits entières en robe blanche, j'ai traîné dans les bars, et j'ai baisé avec des garçons ou des filles dont personne ne voulait.  J'imaginais qu'un couteau allait se décrocher du plafond et me percer le coeur pour me ramener à la mort, j'espérais ne pas me réveiller au matin,Qui sait me disais-je, Ca n'arrive pas souvent à mon âge, mais on ne sait jamais. Je m'affamais, je fumais, je baisais sans capote. Je traversais la rue juste au moment où une voiture passait. Les chauffeurs m'injuriaient.
 
Et puis un, jour, je t'ai rencontré, toi. Dès le départ, je savais que notre histoire n'était pas une histoire de vie, que ce n'était pas une histoire du quotidien bien que ce fut une histoire d'amour, mais il me semblait en étant près de toi, vivre un peu plus fort. Il me semblait que j'existais pour quelqu'un, que j'étais quelqu'un. 
 
Je n'étais pas comme toutes ces femmes qui n'aiment pas qu'on leur crient dessus. Moi j'aimais bien ça, quand tu me criais dessus, je me sentais exister. Un feu me montait au visage, anesthésiait tout mon corps,  puis m'endormait. La peur me faisait l'effet d'une drogue. Je savais qui tu étais. Je savais que tu me frapperais, que tu n'aimais pas les femmes, et c'est pour ces raisons-là que je t'ai choisi. Je savais que tu me punirais , qu'avec toi j'expierais. Expier quoi je ne sais pas au juste, peut-être le fait de n'avoir jamais réussi à exister vraiment, de n'avoir pas réussi à attirer sur moi les yeux de mon père, de n'avoir pas réussi  à l'affoler assez  pour le mettre dans mon lit, de ne pas avoir été assez belle pour ça. Ou peut-être encore de n'avoir  jamais pu dépasser la taille de ma mère, de toujours être resté sa petite fille,  de toujours avoir baissé les yeux devant son regard maternel et sévère, d'avoir toujours échoué à me construire une identité par rapport à elle. Je ne sais pas. Qui sait ce que j'ai trouvé, qui sait ce que j'ai cherché près de toi. Près de toi il me semblait que j'avais une histoire. Que s'articulait enfin pour moi une biographie.
 
Tes grands yeux noirs hypnotisaient les miens, et je ne pouvais pas supporter très longtemps d'être touchée par toi, puis d'être livrée à moi-même. Je me souviens d'un soir où tu m'as caressée, caressée, caressée pendant des heures en t'attardant sur tous les points sensibles. Je n'avais jamais autant désiré un homme, et je ne t'avais jamais autant désiré. Je laissais s'échapper de moi des cris de toutes les couleurs. Puis, lorsque je suis arrivée au point de non retour, lorsque le désir est devenu pour moi une douleur et que les muscles de ma chatte se sont contractés en un anneau de souffrance, tu m'as dit: " tu me fais pitié". Tu t'es allumé une cigarette, et tu es rentrée chez toi. Je n'ai pas réussi à ma calmer... J'ai beau eu me masturber et me masturber, rien n'y a  fait. Il fallait absolument que tu me baises.Tu ne m'as baisée que deux semaines plus tard. C'était comme si pendant deux semaines, tu m'avais obligée à me retenir de respirer.
 
Une autre fois, tu m'as collée une grosse gifle. Ce à quoi j'ai répliqué par une gifle plus grosse encore. Puis, comme ça, au lieu de faire l'amour, nous avons joué à nous mettre des gifles. J'ai adoré ça, je frappais du plus fort que je pouvais parce que je savais que ta dignité t'obligerait à monter ta puissance d'un cran.  Plus tu frappais fort, plus ma douleur s'en allait. Plus j'avais mal et plus j'étais bien. 
 
Je voulais crever. Je voulais que tu m'étrangles. Mais je voulais vivre d'abord. Vivre intensément ce que je n'avais pas vécu. J'ai quitté le domicile familial par une nuit où mon père dormait sur ses deux oreilles, et où tu guettais en bas de chez nous. Toi et mon père étiez, je ne m'en doutais pas encore, les deux faces d'une même pièce. Où que je tourne la tête, il y avait un homme pour m'empêcher d'être libre. A l'intérieur de la maison, il y avait mon père, et à l'extérieur il y avait toi, que j'essayais de quitter, mais qui continuais de me harceler. 
 
Cette nuit-là il m'est apparu évident que je devais choisir entre vous deux, il m'est apparu évident que vous étiez les deux héros d'une même bataille et qu'au fond depuis que tu t'étais disputé avec lui dans la cage d'escalier de l'immeuble, j'étais devenue l'objet d'un duel entre, toi et mon père. Il m'est apparu cette nuit-là, alors que tu montais la garde devant l'immeuble, que je devais choisir entre vous deux, que j'étais réduite à choisir le vainqueur, il m'est apparu que si je ne pouvais pas choisir la vie, parce que tout le monde s'acharnait à l'éloigner de mon champs de vision, je pouvais au moins choisir ma mort, et que je pouvais choisir qui était le coupable, qui je pouvais punir. 
 
C'est bien-sûr mon père que j'ai choisi cette nuit-là en te choisissant, c'est lui que j'ai choisi de punir. Cette nuit-là, j'ai fait ce que mon père avait toujours redouté que je fasse, j'ai réalisé sa pire hantise, son angoisse terrifiante, son pire cauchemar: j'ai disparu sans un mot, et sans un bruit. C'était ma vengeance, en même temps que ce fut ma délivrance. Les effets de cette délivrance n'ont pas duré longtemps. 
 
Mais ce qui est sûr, c'est que partir cette nuit-là, avec toi, a changé toute ma vie.


05/01/2014
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