Le journal de Mickey
Le journal de Mickey ne délivrait pas d'information capitale, mais on y parlait des trois (vilains) petits canards à la tête d'oignon, frères entre eux et neveux de Donald. Riri, Fifi et Loulou, n'avaient de signe particulier que leurs casquettes et leurs T-shirts de couleurs différentes. Ces trois enfants semblaient libres, pourtant il s'agissait d'enfant abandonnés, livrés à eux -mêmes et à leur oncle Donald. Donald non plus ne fréquentait ni son père, ni sa mère, mais de temps en temps un oncle très riche. A croire qu'il y avait des problèmes de lignée dans la famille Disney.
Le journal de Mickey expliquait que Riri, Fifi et Loulou, n'étaient pas des enfants sages, c'est pourquoi, disait-on, leurs parents les avaient envoyés chez leur Oncle Donald. Ensuite, il s'était avéré que les trois enfants avaient été oubliés par leurs parents. l'enfant pouvait lire en filigrane, la menace d'être abandonné.
De Donald lui-même, on ne disait rien, rien de son enfance, de ce qu'il avait traversé, de ces ambitions... Je ne comprenais pas le profil psychologique de Donald, par exemple, comment pouvait-il supporter Daisy, cette pétasse capricieuse, plus intéressée par ses neveux que par lui? . Je ne comprenais pas pourquoi les scénaristes lui imposaient tant de frustrations et de souffrances. Ce qui était sûr, c'est que je me sentais solidaire.
Picsou, son oncle, était plus intelligent, il me passionnait, je lisais toutes les histoires le concernant en cherchant partout la trace d'un sentiment d'amour en lui. Pourquoi je ne le sais plus, peut-être parce qu'enfant il me semblait que l'amour était le contraire de l'argent. Je ne savais pas quoi penser de Picsou, mais son énigme me plaisait. Il faut dire que je ne comprenais rien au Capitalisme, je ne comprenais rien à l'Amérique, la seule chose que j'en savais était que c'était le pays de Rocky Balboa et de la liberté. Au cours de mes réflexions, j'ai fini par accorder sa chance à Picsou, peut-être était-il capable d'amour. Je ne pouvais accepter qu'un petit défaut comme l'avarice puisse entacher une personnalité toute entière. Mais il m'a fallu me résoudre à ce que Picsou ne se soit jamais senti seul, n'ait jamais rêvé à l'amour. Se baigner dans sa montagne de pièces d'or suffisait à le rendre heureux, comme si, après tout, l'argent faisait le bonheur.
Dans le journal de Mickey, on ne parlait pas beaucoup de Mickey. Mickey n'était que le frère aîné d'une famille immense de personnages. Il se contentait d'être le préféré à son papa Disney et d'apparaître dans une ou deux planches. Mickey n'avait pas grand chose à dire, il était à lui seul un programme politique, mais je ne comprenais pas lequel. Plus tard, en lisant Bukowski, je me suis aperçue que Mickey ne faisait pas l'unanimité, même aux Etats-Unis. Mickey était nazi affirmait l'écrivain, il suffisait de regarder ses mains, il n'avait que quatre doigts, c'était vraiment qu'un putain de Nazi.
Je ne me doutais pas, enfant, lorsque je voyais évoluer mes " personnages préférés" sur l'écran de la télévision, je ne me doutais pas de la masse de mains ouvrières, sous-payées, qui redessinaient inlassablement et jusqu'aux frontières de la folie, les contours des oreilles de Mickey, les contours de ses gants, gants choisis car le créateur hésitait à lui dessiner des griffes, effrayantes pour les enfants, ou de vrais mains, mais qui ne seraient pas celles d'une authentiques souris. Je ne me doutais pas de la machinerie Disney, que Charles Bukowski dénonçait et qu'il associait, sûrement, aux armées nazies. Mains ouvrières et dévouées à des personnages naïfs et niais, ou soldats en rang calquant leurs gestes sur les gestes des autres, il y avait là, sûrement, quelque chose qui n'était pas de l'ordre de la créativité, de l'art, mais plutôt de l'ordre du contraire, quelque chose qui était de l'ordre de l'ordre, de l'aliénation, de l'annihilation. Quelque chose, au fond, qui était plutôt de l'ordre de l'entreprise.
Mais qu'est-ce que ça pouvait me faire, à moi, au fond, lorsque j'étais gosse? Le journal de Mickey était le premier journal qui me rendait indépendante, le premier journal qui était fait pour qui j'étais. Faire partie d'un public-cible, était pour moi la première marche vers l'existence, et la reconnaissance.
Tu existes, me disaient les Etats-Unis d'Amérique. Ce furent mes premiers contacts avec eux.
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