Lune de miel
Tous les deux, il avaient loué une chambre à l'hôtel, non dans l'esprit de l'exotisme et des corps réchauffés l'un à l'autre dans le lien fusionnel des premiers temps de l'amour, mais dans celui de la clandestinité, des âmes infidèles qui n'avaient plus le droit de se cotoyer. Après un mois de séparation, son corps à elle avait craqué, son corps à lui l'avait conquise. Elle savait qu'elle ne devait pas, que c'était comme de plonger dans sa propre chute, mais pourtant elle n'avait pas pu résister à ses coups de fils incessants, à ses s.m.s harcelants et insultants, elle n'avait pas pu résister au vide assourdissant d'un monde sans lui, sans la chaleur de son corps, sans l'exigence implacable de son regard.
L'hôtel se situait à deux pas de sa maison à elle, à deux pas de cette maison d'enfance où l'attendaient encore son père et sa mère, à deux pas de cette maison où elle avait appris à obéir et puis surtout à attendre, attendre d'être la plus belle, attendre qu'on la préfère comme on le lui avait appris. Après tout, toutes ces princesses dont on lui avait dressé le portrait pendant son enfance n'étaient -elles pas, comme elle, des filles de leurs pères et de leurs mères, des filles qui avaient été préférées à d'autres filles, après tout, n'était-ce pas comme cela que tous les livres se terminaient : " Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants " ? Si l'hôtel se situait si près du foyer où elle avait grandi, c'était pour faire un pied de nez à son éducation, c'était pour signifier aux parents qu'à force de dire aux filles qu'elles avaient un penchant pour l'enchaînement, celles-ci n'attendaient plus qu'on vienne les chercher. Les filles d'aujourd'hui étaient plus malignes que ça, elles s'enchaînaient toutes seules, elles se choisissaient le premier venu comme pour en finir avec leur liberté d'enfant, le prince charmant qu'elles attendaient ne venait rien faire d'autres que de les délivrer de cette enfance dans laquelle toutes les petits filles étouffent. Elles s'empressaient de quitter une prison pour aller en rejoindre une autre, aux murs plus sexués. Les filles d'aujourd'hui préféraient les hôtel, elles préféraient de loin le derrière des voitures aux maisons ennuyeuses où toutes les histoires commençaient sempiternellement par " Il était une fois".
C'est comme cela qu'ils avaient atterri à l'hôtel. En s'emparant d'une bulle spatio-temporelle, ils avaient mis le temps en suspens dans la chambre, recréant ainsi toutes les conditions de la lune de miel. Tous les deux, ils regardaient la télévision. Posée en haut du mur, celle-ci leur permettait de la regarder couchés, de s'enlacer comme deux serpents sans faire aucun effort. Les tentures étaient fermées à tout rayon de soleil perturbateur, car les deux amants préféraient la nuit. Ils savaient que c'étaient dans la nuit que les plus beaux secrets prenaient forme, que c'était dans l'ombre que les baisers étaient les plus forts. Ils se méfiaient du soleil comme de la peste, car il savait que le soleil mettait à plat tous les défauts du visage, que le jour et son bleu éclairaient les cernes creusés dans la nuit.
- Que va-t-on faire ?, dit-elle inquiète. Nous ne pourrons pas rester tout le temps dans cette chambre, il va falloir qu'on parte, je vais devoir rentrer à la maison.
Mais devant la réalité, il se taisait toujours.
- Je ne sais pas comment je vais annoncer à mes parents que je suis de nouveau avec toi ... Et je ne sais pas non plus comment je vais le leur cacher. Mon père doit déjà être très inquiet de ne pas m'avoir vue rentrer. Ma mère doit être occupée à pleurer. De les imaginer comme ça, ça me donne mal au ventre. Mais l'idée de rentrer et de tout leur dire me fait encore plus mal.
- Il te suffit de ne pas revenir, dit-il simplement.
- J'y ai toujours pensé, dit-elle. Mais j'ai peur. C'est facile pour toi, personne ne t'attend nulle part ...Qu'allons-nous devenir ? Nous n'avons aucun don pour vivre, la seule chose que nous savons faire, c'est de nous torturer tous les deux. Et puis, depuis que je te connais, je n'arrive plus à rien faire, qu'à t'attendre. Je ne sais même pas pourquoi je suis là, avec toi. Ne crois pas que c'est parce que j'en ai envie, ni parce que je t'aime. C'est parce que je ne sais plus rien faire d'autre, plus rien faire d'autre qu'être avec toi. C'est parce que je n'ai plus la force, plus la force de lutter contre le courant qui, irrémédiablement me mène vers toi. Je suis là parce que j'ai perdu, dit-elle.
- Perdu quoi ? dit-il
- J'ai perdu mon combat pour la liberté. J'ai perdu mon combat contre la passion que je nourris pour toi. Je ne peux plus rien contre mes sens. En étant avec toi, c'est moi que je trahis, et toute ma famille.
- Ca fait plaisir à entendre, dit-il. Dans toute cette histoire, tu me donnes toujours le rôle du salaud ... Mais moi au moins, je t'aime vraiment, dit-il. Je n'aime que toi, tu m'entends ? Je n'ai que toi au monde ! Je te veux tout seul, pour moi. Parce que je suis le seul à t'aimer.
- Je suis à toi, dit-elle.
Il l'embrassa. Il enlaça ses bras autour d'elle. Il la lova. Il l'aima.
Lorsque leurs étreintes furent terminées, il dit : Je sais ce que nous avons à faire tous les deux. Nous devons partir. Mais vraiment. Vraiment partir. Et j'ai ce qu'il faut pour ça. Il sortit de la poche de son jean un relvover, tout petit. Il était presque mignon.
- J'ai peur, dit-elle. J'ai peur de cet objet. Je ne veux pas partir comme ça. Il faudra d'abord que tu me battes à mort. Ensuite seulement, tu pourras tirer.
- Je ne pourrai jamais te frapper. Je ne veux pas te battre. Je t'aime trop pour ça.
- Si tu m'aimes vraiment, s'il-te plaît, frappe-moi. Va au bout de ton idée. Tu m'as tant menacée de le faire. De me frapper, de me tuer. C'est pour cela que je suis venue.Tu le sais bien, c'est tout ce que j'attend. Frappe-moi. Donne-moi toutes les claques que je mérite. Donne-moi toutes les claques que mon père ne m'a jamais données. Bats-moi carrément. C'est à cause de ses promesses que je suis revenue et qu'au fond je t'ai toujours aimé. Parce que, c'est tout ce que je mérite. Parce que au fond, c'est comme ça que je veux partir.
- Mais tu sais bien que je ne pourrai jamais te frapper autant que je t'aime.
-Alors, frappe très fort, dit-elle.
Et c'est ce qu'il fit. Toujours il avait eu envie de le faire, mais chaque fois, il s'était retenu. Par amour, il s'était retenu. Il en avait frappé bien d'autres, sa mère, sa soeur. ses petites copines. Mais elle, non. Il avait mit un point d'honneur à ne pas le faire. Pourtant, combien de fois ne le lui avait-elle pas demandé. Il la prenait pour une folle, une détraquée. Il ne comprenait pas que, ainsi entre ses mains, elle guérissait d'un curieux mal, un mal féminin qui échappait et aux hommes et aux femmes. Il ne comprenait pas que, lui réclamant des coups, elle s'en protégeait. Il ne comprenait pas que, la menace une fois accomplie, n'en n'était plus une. Par amour , il s'executa. Il lui avait tellement menacé de le faire, de la tuer si elle ne revenait pas, qu'elle était venue s'offrir à lui, amoureuse et vaincue. .Il la roua de coups. Il la frappa, il la frappa si fort que ça ressemblait à la fin d'une étrange corrida où le taureau et son maître avaient fini, dans la mort, par se trouver égaux dans leurs points communs. Il frappa si fort qu'elle s'endormit. Son visage semblait heureux, apaisé. Sa peur s'en était allée.
Le premier rayon de soleil s'infiltra entre les tentures lorsqu'il tira une première balle. La deuxième fut pour lui. Avant qu'il ne fasse tout -à-fait jour, elle s'était logée entre ses deux yeux.
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