Le blog de Petite Pépée

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V.

 

De l'apprentissage du sport, je n'ai rien à  dire sinon que j'y ai appris la peur, surtout pour le karaté. Il me semble que, par le dénuement de mon corps de petite fille endimanchée dans son kimono de karaté  je n'ai appris qu'à  fuir et à me  réfugier sous les couettes. Il me semble qu'à m'être frottée de près dès le plus jeunes âge aux corps de jeunes adolescents m'a fait précocément développer un  attrait pour tout ce qui plus tard pourrait m'agresser. A bien y réfléchir, je peux faire remonter la plupart de mes problèmes avec les hommes à ces cours de karatés, où sans doute, désirer ceux qui me menaçaient m'a permis de sublimer mes peurs Il me semble aussi que si par le passé j'ai  choisi des " mauvais garçons", jeter un sort à tous ces lundi soir qui remplaçaient mon tutu de danseuse par un kimono de petit garçon. Car mon père , je l'ai dit, me faisait faire du karaté pour m'apprendre à me défendre. Sans doute mon père se disait-il que tous les hommes ne pourraient pas aussi bien que lui mettre  à distance leur pulsion pour en jouir en différé devant une photographie. Il craignait pour moi ce qu'il désirait des femmes, mais n'a pas su me protéger de son regard à lui.

 

 

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Ce jour-là, il m'a laissé entrer dans le salon qui s'était transformé pour l'occasion en studio. V., la femme de mon professeur de karaté était nue. Je me rappelle de ses seins tombant légèrement et de son incroyable beauté. Ces cheveux étaient teints d'un blond doré qui illuminait sa tête de manière christique . J'avais été poussée par la curiosité de voir mon père photographier une femme nue mais je me souviens que j'étais un peu étonnée que ce soit V.

 

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J'étais assise à la table du salon, à la place où je mangeais d'habitude. Comme toile de fond de la photographie, il y avait , en présage  d'une mort prochaine, le couvre-lit de la chambre parentale. Il était là comme un linceul derrière Valérie, l'enveloppant elle qui laissait éclater comme la mort sa sexualité. A force d'exhiber son corps, V. pour moi ce jour-là en avait oublié d'être une mère, elle avait oublié que son corps n'était pas juste fait pour aguicher les hommes, mais aussi pour serrer contre elle une enfant. Aujourd'hui, je ne lui en veux plus car j'ai appris qu'il en est ainsi pour nous toutes ; à trop vouloir être  sexuée, nous en oublions d'être humaines. C'est sans doute  la malédiction  de toutes les femmes dans leur ensemble : nous avons peur de ne plus plaire, nous avons peur de perdre cette place centrale de l'absence dans les parties fines organisées  par des regards d'hommes. Nous avons peur de ce qu'il adviendra de notre corps une fois qu'il sera changé par la grossesse et par les années qui passent.

 

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Mon père n'a jamais touché V., il avait l'air bien trop gêné pour être occupé à prendre son pied, à mater ou à détendre le modèle en le faisant rire comme on le voit dans les téléfilms du samedi soir. Mais tous les films du samedi soir que j'ai vu depuis lors m'ont toujours depuis ramenée à V., à ses cheveux blonds et à sa toison noire. Depuis ce jour la moindre photo que je regarde me fait penser à l'objectif de mon père braqué sur les seins de Valérie, et pour moi, chaque photographie a des airs de malédictions.

 

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Tout cela se faisait de manière macabre et dans un insoutenable silence. Mon père semblait avoir une idée précise de la photographie qu'il désirait obtenir, pour tout dire la photo existait déjà dans sa tête et elle avait déjà sa place dans un magasine de nu, elle avait la place centrale et trônait au milieu un peu au dessus sur le podium, dénonçant par sa splendeur les photos moins bonnes, c'est-à-dire les filles moins belles. Dans la tête de mon père, V. je le sais, était un objet de beauté, mais V. n'était qu' un objet. Un objet que mon père en tant qu'homme mettait à la disposition d'autres hommes qui pourraient après avoir grimacé toute la journée se détendre  et se rincer l’œil, admirer une beauté consentante qui s'offrait à eux avec complaisance. Je suis sûre que mon père voulait offrir à d'autres hommes ce qu'il ne pouvait pas se permettre dans la réalité, et que par là il rendait la pareille à tous ceux qui avaient réussi  à faire se déshabiller pour lui la jeunesse et la beauté d'un corps féminin.

 

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C'est ainsi,  pour moi les photos de femmes nues ne sont que des jeux de cartes indéfinis et infinis, elles ne sont qu'une succession de négatifs alignés les uns à côté des  autres, des cartes que les hommes se passent, se donnent, se vendent et s'échangent entre eux comme autrefois les petits garçons jouaient aux billes. Les photos de charme ne sont que des parties de poker dans lesquelles chaque homme essaie d'abattre son meilleur jeu. Ce sont des parties d'où sont exclues les femmes mais où pourtant leur image a la place centrale, être une femme c'est faire partie d'un ensemble de femmes entrant dans la catégories des " belles femmes", sinon on n'existe pas , sinon on n'est rien ni personne. 

 

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Afin d'obtenir de V. les poses souhaitées, mon père s'approchait très près d'elle mais je l'ai dit ne la touchait jamais. Sans doute mon père était-il gêné par ma présence, jamais je ne saurai si une fois disparue derrière la porte du salon mon père a pu enfin se détendre et laisser sa main se balader un  petit peu. Je passerai ma vie à me demander si mon père a fini par peloter Valérie une fois la porte fermée.

 

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 Mon père s'agitait dans le vide et montrait par des gestes quelle attitude V. devait adopter. Je me rappelle très bien de V. nue, pourtant, je n'ai pas osé la regarder longtemps. C'était une fille que je connaissais habillée et il me semblait qu'elle dévoilait un secret à mon père et non à moi. Dans mes yeux il y avait de la pudeur car ceux-ci n'était pas protégés par un objectif : mes yeux n'avaient pas d'excuse alors ils ne pouvaient pas regarder.  Tout du corps de V. me disait : " Vois comme je ne suis pas ta mère et comme le corps d'une femme peut servir, vois comme ce corps ne t'est pas destinée et surtout vois comme tu ne deviendras jamais, quelque chose que ton père regarde avec intérêt. Mon inconscient fit de moi alors la responsable de toute cette histoire qui me poursuivra jusqu'à mort : pour que mon père s'occupe de moi et daigne enfin me regarder, il fallait que je devienne une femme, il fallait que je devienne belle, il fallait que je l'allume. Il fallait que prévois et que j'opère pour sa chute.

 

 

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J'ai jeté un bref coup d’œil en rentrant dans le salon et à daté de ce jour, c'en était fini. Une partie de ma vie de petite fille était terminée. Je savais presque tout de ce qu'il y avait à savoir, et dans le fond je pense que ce fut une bonne chose. La seule chose que je regrette c'est qu'il me semble que dans toute cette histoire, on m'a volé mon corps, la seule chose que je regrette, c'est que plus jamais je n'ai su être photographiée par mon père ni par personne d'autre sans sentir mon image se décoller de moi.

 

***


Et que faisait ma mère dans cette histoire, me direz-vous ? Ma mère, je ne sais pas. N'est-ce pas déjà beaucoup en dire que de dire d''elle n'était pas là? Singeant parfaitement la mère que V. refusa d'être pour moi, refusant de plaire à mon père et déléguant ce rôle à une autre,  ma mère avait depuis longtemps refusé  d'être la putain qui protégerait son enfant des assauts de son père. En refusant d'être putain on refuse d'être mère, voilà ce que toutes les femmes devraient comprendre. En faisant disparaître l'une des deux faces de leurs pièces, les femmes font simplement et tout bonnement disparaître l'autre, et c'est ainsi que ma mère m'abandonna complètement.


Ce jour-là  regarder mon père était la seule chose que je pouvais faire, cela me protégeait et me mettait en même temps en danger. Ce jour-là mes parents m'ont mises à l'intérieur de moi qui n'avait plus rien à faire là.

 

 



28/08/2015
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