Le blog de Petite Pépée

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Pourquoi pas l'art-thérapie ?

Parce que je ne sais pas dessiner. Parce que rien de créatif ni rien de coloré ne pourra sortir de ce qui m'a détruite. Parce que je ne veux pas que ce qui m'a détruite devienne création ou couleurs. Parce que je ne veux pas donner la joie des couleurs par ce qui m'a détruite, parce que ma rage est noire et qu'il n'y pas de place pour ce bleu que tu voudrais que je trace comme une trace de ciel épars, éclair d'espérance traversant la nuit blanche des nuages,  annonçant dans le fracas de l'horizon un peu d'espoir.

Parce que l'espace de ma tête où les mots défilent à la vitesse de la lumière, explosant le cadre, me convient parfaitement, parce que les mots avec leur surface lisse et plane comprenant pourtant en elle toutes les dimensions en diront toujours plus que ce que je pourrais dire avec un pinceau. Parce que je ne crois pas en l'exposition de la matière et puis parce que je veux être bien sûre qu'on me comprenne, ma souffrance n'a pas de place pour l'allégorie.

 

Parce que ce qui est fait pour s'exprimer uniquement ne saurait s'appelait " art ", parce que l'art est un art, comme la médecine, l'art est un art dont il faut connaître les codes et les règles , parce que je refuse le chaos des couleurs sans art et sans code et parce que je refuse qu'on appelle les balbutiements de mes émotions articulées en couleurs : de l'art. Au nom des artistes je refuse qu'on le fasse.

 

Parce que l'art, le vrai, a un prix, parce qu'il n'est jamais gratuit, parce que rien n'est gratuit dans les entrechats de la danseuse, parce que l'art nous permet autant de tenir le coup qu'il nous enfonce, qu'il nous enterre, parce que l'art a traversé Van Gogh, parce que Van Gogh ne cherchait pas à s'exprimer mais à rendre les couleurs des tulipes, parce que l'art et la thérapie sont antinomiques. Parce que l'art est un cadeau à l'humanité, un sacrifice, un chemin de croix, parce qu'Artaud était fou, la mère de Bataille l'incestait et que l' art ne les a pas sauvés, parce que Maria Callas est morte seule, le visage légèrement bleuté par la tristesse de son cœur. Parce qu'elle a donné sa vie pour Norma, Tosca, Violetta. Et toi, tu voudrais que je trempe mes doigts dans le jaune et qu'on appelle ça de l'art ?

 

Parce que l'art a trop d'importance à mes yeux pour qu'on me propose d'en faire comme on ferait du crochet dans une maison de repos. 

 

Parce que je te propose de parler et tu me réponds " Thérapie ". Parce que je te propose de parler, et que tu fais comme si on ne pouvait que " répondre ". Parce que pour toi parler d'un problème c'est parler de son expérience personnelle. Parce que pour toi parler d'un problème ce n'est pas essayer de le comprendre mais essayer d'y apporter une solution. Parce que pour toi y apporter une solution c'est punir les coupables, et puis parce que tu dénies la responsabilité collective,  tu préfères diviser le monde en deux catégories : les gentils et les méchants. Les victimes et les bourreaux, comme si les victimes ne devenaient jamais bourreaux, et puis comme si les enfants des voisins n'existaient pas. Tu n'es pas responsable des enfants des voisins, toi ? Tu n'es pas responsable de la mémoire du petit Aylan ? Tu démissionnes ? Tu as déjà donné me dis-tu, j'irai donc me faire foutre avec ma " responsabilité collective ".

 

Parce que tu crois que la honte est un objet qui se déplace, qu'il y a des personnes faites exprès pour la porter, et que ces personnes sont nos bourreaux. Parce que tu ne comprends pas que ma honte est bien à moi, elle est logée en mon corps comme un petit animal que je nourris, parce que je la porte pour ne la faire porter à personne, parce qui serais-je si je n'avais pas honte ? Honte de moi, honte pour l'échec de l'humanité, honte comme une pomme croquée, centrée sur mon macintosh. Une honte comme un péché originel . Parce que qui aujourd'hui peut regarder le monde sans avoir honte ? Parce que ma honte je la porte en moi et que c'est elle qui me rend ma dignité, parce que ma honte ne fait pas de moi la coupable mais que si l'autre est incapable de la porter, il faut bien que quelqu'un le fasse, et cette personne c'est moi, parce que ma honte j'en ferai quelque chose et ce sera écrire sûrement, ou pourquoi pas aimer. Parce que tu crois que dessiner va me faire sortir de ma honte, parce que tu crois que la honte peut se dire, s'écrire, se dessiner, se peindre et que je crois qu'elle ne peut que se porter, s'éprouver, parce que tu ne me comprends pas, tu me prends pour une masochiste, tu me prends pour quelqu'un qui ne va pas bien, parce que pour toi " la honte doit changer de camps " alors que la honte n'a pas de camps, elle est insaisissable.

 

Parce que la vie ce n'est pas des campagnes publicitaires, parce que la vie ce n'est pas une campagne de sensibilisation, une Inceste pride, parce que la fierté n'a rien à voir avec la honte et que crois-tu, que chaque année il nous faudra plus de victimes d'inceste pour défiler, pour être de plus en plus fier, pour que la fierté des victimes déborde sur la place publique et qu'il en faille encore, toujours plus, plus de victimes pour rendre le problème visible, pour que l'Inceste pride ait de plus en plus de succès, comme les restaurants du cœur ? 

 

Parce que je propose de parler et que tu me réponds  : Lacan, Freud, Dolto ! Parce que Lacan, Freud, Dolto ont échoué à te guérir, ils t'ont enfoncée, tout est donc de leur faute. Parce que tu crois que Lacan, Freud Dolto sont la société, et que pour moi la société c'est personne, je veux dire personne en particulier, la société c'est personne donc c'est tout le monde et quand je te propose de réfléchir bien-sûr que c'est aussi sur toi que je propose de réfléchir. Mais tu préfères me parler de : thérapie, punition, statistique, Justice. Tu n'as pas posé la définition du problème que tu cherches déjà à le solutionner, comme si solutionner TON problème, c'était solutionner LE problème, et puis c'est moi qu'on traitera de fataliste.

 

Parce que je ne veux pas de " thérapie". Parce que j'aime trop l'art. Parce que je veux que ça ne recommence plus et que je veux réfléchir le problème en amont, parce que je suis responsable, actrice de ma société, et que ma vie ne se résume pas à l'étau étroit de mon corps ou de ma cellule familiale. Pour toutes ces raisons, je refuse l'art-thérapie.

 

 

 



11/09/2015
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